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Carte ancienne
du Rwanda
Epoque des missions.
(pour
voir les détails,
cliquer sur la carte).
Copyright :
"Les Pères Blancs
aux Sources du Nil", d'Alexandre
Arnoux.
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AJOUTS RECENTS (mise à
jour du 6 mars 2006) - A lire
en bas de page. |
- Mwami, le titre du roi du
Rwanda
- Kigeli IV Rwabugiri (1853-1895),
le premier mwami à avoir rencontré
les Blancs
- Yuhi V Musinga (1896-1944),
le mwami résistant
- Mutara III Rudahigwa (1931-1959),
le mwami muselé
- Kigeri V Nadhindurwa, le dernier
mwami
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Petite chronologie sommaire :
- XIVe
siècle : premier roi “historique”,
Ruganzu I Bwinba .
- XVe
siècle : début de l’unification
du Rwanda par la dynastie Nyiginya
(tutsie).
- 1894
: arrivée de l’expédition
du lieutenant Gustav von Götzen,
délégué du Reich allemand qui a “reçu”
le Rwanda lors de la conférence de Berlin
de 1880 durant laquelle les Occidentaux
se sont partagés les territoires africains.
Les Rwandais, bien sûr, ne sont pas
au courant…
- 1900
: fondation de la première
mission catholique par les Pères
Blancs français à Save.
- 1908
: fondation de Kigali
par les Allemands, fascinés par la monarchie
rwandaise et qui appuieront le mwami
par les armes dans toutes ses entreprises
menées contre ses vassaux rebelles,
hutus et tutsis.
- 1916
: conquête du Rwanda et du Burundi
par les troupes belges venues du Congo
dans le cadre de la Seconde Guerre
mondiale qui les oppose aux Allemands.
- 1922
: le Rwanda passe sous
mandat belge suivant la volonté
de la Société Des Nations. Comme les
Allemands, les Belges appuient le mwami
et favorisent les Tutsis (pour l’éducation,
le baptême catholique et l’octroi des
chefferies de moins en moins lié à la
volonté du roi).
- 1931
: le mwami Musinga, qui
refuse de se convertir, est destitué
et exilé par les Belges qui le remplacent
par l’un de ses fils, Mutara III. Les
colonisateurs commencent à inverser
leur politique, favorisant une “contre
élite hutue” en la montant contre les
“Tutsis aristocrates”.
- 1933
: instauration d’une carte
d’identité ethnique par les Belges
avec la mention “Hutu”, “Tutsi” ou “Twa”.
- 1946
: l’ONU charge la Belgique
de la Tutelle sur le Rwanda-Burundi.
L’Eglise catholique a de plus en plus
d’impact sur la société rwandaise, le
pays est placé sous la tutelle spirituelle
du “Christ-roi”.
- 1954
: suppression de l’Ubuhake
(la “corvée”, garde des troupeaux, service
gratuit ou don en nature que le paysan
doit au seigneur et le seigneur au roi)
mais en pratique, elle perdura…
- 1957
: sous l’impulsion de monseigneur
Perraudin, vicaire apostolique, et sur
le modèle de la Révolution française,
des intellectuels hutus formés au séminaire
dont Grégoire Kayibanda, rédigent le
manifeste des Bahutu, texte
ethnico-racial qui décrit les Tutsis
comme des aristocrates exploiteurs des
Hutus.
C’est la première fois qu’on évoque
l’existence de deux peuples au Rwanda.
- 1959
: le roi Mutara meurt mystérieusement.
Les Belges le remplacent par Kigeri
V. Premiers massacres de Tutsis par
des Hutus. Le pays est placé sous
occupation militaire belge.
- 1961
: révolution “sociale” hutue
appuyée par le colonel belge Guy Logiest.
Nouveaux massacres de Tutsis qui fuient
en masse vers les pays voisins. Grégoire
Kayibanda forme un gouvernement. Le
roi est expulsé par les autorités belges.
- 1962
: indépendance du Rwanda
sous la direction des Hutus du Sud.
Grégoire Kayibanda est président de
la République.
- 1963
: nouveaux massacres de Tutsis
qui continuent à fuir leur pays
lorsqu’ils le peuvent et se réfugient
surtout en Ouganda.
- 1973 : les Tutsis, discriminés
par un système de quotas qui limite
leur entrée à l’université et aux emplois,
sont à nouveau massacrés. En juillet,
le général Juvenal Habyarimana renverse
Kayibanda. Les Hutus du Nord sont
au pouvoir.
- 1975
: fondation, par Habyarimana,
du parti unique, le MRND (mouvement
républicain national pour le développement)
- 1978
: nouvelle constitution faisant
de tout citoyen rwandais un membre du
MRND dès sa naissance (!).
- 1988 : réélections du président
Habyarimana avec 90% des voix. En Ouganda,
les exilés tutsis créent le FPR
(front patriotique rwandais).
- 1990
: première tentative du FPR
de rentrer au Rwanda mais l’armée
française, présente sur le territoire
rwandais depuis 1971 dans le cadre d’une
“coopération technique” les repousse
et sauve Habyarimana. Les troupes gouvernementales
rwandaises massacrent les Bagwoge, des
Tutsis du Nord.
- 1991
: mise en place du multipartisme.
- 1993
: signature des accords d’Arusha,
en Tanzanie entre le MRND et le
FPR, prévoyant une répartition des pouvoirs
entre les deux partis.
Une commission internationale d’enquête
publie un rapport dénonçant les actes
génocidaires du régime Habyarimana.
Janvier
1994 : le gouvernement Habyarimana
regimbe à appliquer les accords.
Des Hutus modérés tentent de s’opposer.
Février
1994 : assassinats de
leaders hutus modérés. Violences et
lynchages.
6 avril
1994 : l’avion du président Habyarimana,
de retour d’un sommet inter-régional
à Dar es-Salaam, en Tanzanie, est abattu
juste avant de se poser sur l’aéroport
de Kigali. Le lendemain, commence, sous
l’impulsion de la radio des Mille Collines
qui pousse tous les Hutus au meurtre,
le génocide des Tutsis qui fera, en
cent jours, plus d’un million et demi
de morts, Tutsis et Hutus modérés.
Le FPR, en dépit de l’action de l’armée
française qui permet la fuite des génocideurs
vers le Congo, protégés qu’ils sont
à l’intérieur de la zone Turquoise (opération
à vocation officiellement humanitaire),
stoppent l’horreur et prennent le pouvoir.
Depuis, on a commémoré les dix ans
du génocide l’an dernier, le général
Kagame, chef du FPR devenu APR, vient
d’être réélu à la tête du pays. Un tribunal
international, à Arusha, est chargé
du sort des “cerveaux” (mais nombre
d’entre eux sont parvenus à s’échapper
et se cachent en Europe) de cette gigantesque
opération criminelle tandis qu’à l’intérieur
du Rwanda, le gouvernement tente
tant bien que mal de juger la masse
des exécutants. Ils sont nombreux,
les Hutus étant majoritaires dans le
pays et donc majoritairement entraînés
dans cette épouvantable crime. Certains
ont été relâchés et les victimes se
voient souvent obligées de cohabiter
avec leurs anciens bourreaux…
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KALINGA,
LE TAMBOUR ROYAL
et les tambours dynastiques |
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D’après Le récit des origines,
poème épique jadis conservé à la Cour
du mwami, le roi du Rwanda, et relaté
par l’historien et abbé rwandais Alexis
Kagame,
le kalinga aurait été apporté sur terre
par Gihanga,
le dieu fondateur de la dynastie, en
même temps que la vénération de la vache,
le feu et les semences.
Le personnage de Gihanga dont la légende,
selon l’anthropologue Jan Vansina,
s’est probablement inspirée de la
vie d’un véritable monarque, était associé
au Buhanga. C’est dans
cette région que fut consacré le premier
tambour royal. Il portait le nom de
“Rwoga” (“le nageur”) pour avoir
traversé les nuées avec Gihanga en arrivant
sur terre.
Objet de respect et de culte parce que
symbole du pouvoir du mwami, le roi
du Rwanda, le tambour dynastique ne
devait jamais passer aux mains des ennemis,
au risque d’exposer le royaume à l’anéantissement.
Lorsque deux clans luttaient pour le
pouvoir royal, le vainqueur s’emparait
de l’instrument sacré.
Copyright "Au plus profond
de l'Afrique", de Gudrun
HONKE
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L’écrivain Paul Del Perugia,
dans Les derniers rois mages; chez
les Tutsis du Ruanda, chronique d’un
royaume oublié (voir la rubrique
Bibliothèque),
soutient que vers le XIIe siècle, les
Tutsis remplacèrent peu à peu les petites
dynasties hutues dites les “rois des
Tambourins” et qu’ils reprirent et magnifièrent
leur tradition du tambour royal Le Grand
Tambour de Règne, nommé Kalinga, le
plus illustre de tous. (...).” Perugia
explique ainsi le changement de nom
de l’objet sacré : au XVe siècle, sous
le règne de Ndahiro II Cyamatare
(mort en 1510 d’après Alexis Kagame),
le Rwoga aurait été capturé par l’ennemi
lors d’un affrontement. Il resta onze
années hors du territoire rwandais,
plongeant le pays dans le chaos : catastrophes
climatiques, mauvaises récoltes, famines,
etc. Les poètes dynastiques dirent que
durant cette période, l’homme régressa
vers le matérialisme et qu’il fut coupé
du monde divin. Un nouveau monarque,
Ruganzu II Ndoli, parvint, grâce
à des calculs, à retrouver la forme
originelle du Rwoga cette fois-ci baptisé
“Kalinga”, “gage de l’espérance”,
et permit ainsi au royaume de renouer
avec le bonheur et la prospérité.
Une atmosphère de vénération et un grand
cérémonial entouraient le Kalinga, enfermé
dans un palais, protégé jour et nuit
par une garde spéciale. Trois autres
tambours royaux l’escortaient, chacun
doté d’un nom correspondant à ce qu’il
symbolisait : “le Roi possède la
science”, ”le Pays s’élargit” et
“les Nations me sont soumises”.
Peints avec du sang de taureau qui leur
donnait une apparence brun-rouge, orné,
pour le seul Kalinga, de guirlandes
de testicules séchées prélevées sur
les ennemis battus, ils renfermaient
chacun une pierre de quartz, image de
leur âme.
Perugia décrit : “(...) les tambours
dynastiques présentaient la forme générale
d’un sein, symbole de la fécondité.
Pour suggérer cette image, leur caisse
fuselée se renflait doucement au centre.
Une section de la base assurait leur
stabilité lorsqu’ils étaient posés.
La caisse, haute parfois de 1,70m, comportait
une peau de percussion en vache. Plus
de mille lacets, élégamment croisés
de la base au sommet, assuraient la
tension de la sonorité.(...)”.
Cet entravement était aussi destiné
à rappeler celui de la vache pendant
la traite. Ces objets de culte restaient
dissimulés derrière de grands paravents
décorés de motifs géométriques et constamment
protégés par des gardes du corps. Ils
trônaient sur des estrades afin de ne
pas toucher la terre, “principe féminin”.
Collection Musée de
l'Homme
Copyright : J.-Y. Clavreul
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On entretenait en permanence un feu
dans l’enclos royal qui les abritait.
Traités comme des “personnes royales”,
ils étaient transportés en palanquins
lors des fréquents déplacements de la
Cour et salués par trois claquement
de mains, comme le roi lui-même.
Considérés comme des instruments de
pouvoir et non de musique, les tambours
dynastiques n’étaient pas battus mais
seulement effleurés par le souverain
qui déduisait les décisions à prendre
d’après le son produit par la peau tendue.
L’anthropologue Luc de Heusch
précise : “Les tambours dynastiques,
symboles de la présence muette de la
lignée royale, interviennent donc dans
trois rites de passage : 1. le rite
agraire, qui marque le passage d’une
saison à l’autre, de la disette à l’abondance;
2. le rite d’intronisation, transition
d’un règne à l’autre; 3. le rite séculaire
de l’abreuvage, transition d’un cycle
historique à l’autre.” Totalement muets
lorsque le roi s’absentait du territoire
(guerre, chasse), les tambours dynastiques
résonnaient pour fêter son retour triomphal.
Pouvaient être punis de mort par les
Abirus, les ritualistes de la Cour et
responsables du Kalinga, ceux qui touchaient
ou regardaient les tambours royaux hors
de la présence du mwami.
Quand les Belges destituèrent le
roi Musinga au profit d’un de ses
fils d’un clan différent (au Rwanda,
un fils n’appartient pas forcément au
clan de son père), le 11 novembre 1931,
le monarque en disgrâce fut contraint,
cinq jours plus tard, de rendre le tambour
royal. Les Belges officialisaient ainsi
la déchéance du vieux mwami qui refusait
la conversion au catholicisme, signifiant
la fin de son pouvoir suprême. Le Kalinga
était désormais accaparé par un clan
rival et Musinga redevenait un simple
prince. Symbole d’un système politique
dont ils ne voulaient plus, le Kalinga
fut honni par les Hutus des années pré-révolutionnaires.
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Le
roi Musinga,
accompagné d'un officier
colonial. |
Jean-Paul Harroy, résident général
du Rwanda-Urundi avant l’indépendance,
estime, dans son livre "Rwanda,
de la féodalité à la démocratie"
(Hayez/Bruxelles, Académie des Sciences
d’Outre-Mer/Paris, 1984), que les
décorations du kalinga composées de
testicules de roitelets vaincus, principalement
des Hutus, joua un rôle important dans
les ferments de la révolution, excitant
la haine et le désir de vengeance de
nombreux Hutus. Au printemps 1960, durant
le colloque sur le Rwanda-Urundi organisé
à Bruxelles, les délégués des partis
politiques de l’APROSOMA et du PARMEHUTU
réclamaient déjà la suppression “des
coutumes surannées du kalinga et des
abirus”.
Le Kalinga a été supprimé du drapeau
sur lequel il figurait jadis. Aujourd’hui,
peut-être peut-on encore en voir un
exemplaire dans une vitrine du musée
historique de Butare ou celui de Tervueren,
le musée royal de l’Afrique centrale
à Bruxelles ?
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INKA,
LA VACHE |
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La vache rwandaise, à la silhouette
si particulière; corps maigre et osseux
surmonté de hautes cornes, constitue
le fondement de la société pastorale
tutsie, différent “du monde de la houe”
des Hutus agriculteurs.
Dans l’idéologie ancienne, cet animal
était considéré comme supérieur à l’homme.
Outre sa valeur économique, la vache
remplissait une fonction sacrée : Kigwa,
le dieu civilisateur, naquit d’un cœur
de vache arrosé de lait et introduisit
dans le monde humain les animaux sacrificiels
et divinatoires dont un couple de vaches.
Gihanga, son successeur, le dieu
fondateur, instaura, lors de son arrivée
sur terre, le culte de la vache en même
temps qu’il apportait les autres éléments
de civilisation : le feu, les semences
et le tambour royal.
Une version plus sophistiquée de l’histoire
de Gihanga, rapportée par Luc de
Heusch dans Rois nés d’un cœur
de vache, (Gallimard, Paris, 1982),
conte que Nyiramacibiri (la magicienne),
fille aînée du dieu, aurait reconquis
l’affection paternelle après une dispute
en faisant découvrir le lait de vache
à son géniteur. La jeune femme guérit
ainsi son père d’une grave maladie :
Gihanga, séduit par cet étrange animal
“sorti d’un lac”, aurait voulu s’emparer
de tout le troupeau. Effrayés, les bovins
retournèrent en galopant dans l’eau
qui se referma sur eux. Les quelques
vaches qui y échappèrent constituèrent
le troupeau du Rwanda, assurant au pays
sa prospérité. La morale de cette légende
conclut : “Si les vaches étaient restées
nombreuses, aucun homme n’aurait été
le suzerain d’un autre.” C’est pourtant
une société hiérarchisée que proposait
la civilisation de la vache...
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.. Aujourd’hui encore, pas un Rwandais
qui ne rêve d’avoir sa vache et le
meilleur moyen de draguer une fille
est de comparer sa plastique à celle
d‘une vache royale... Jadis, le système
monarchique reposait sur la possession
des troupeaux bovins. En théorie,
le roi était propriétaire de toutes
les vaches du royaume dont il confiait
la gestion aux seigneurs tutsis. Ceux-ci,
par le système de l’ubuhake,
chargeaient les paysans hutus et tutsis
de l’entretien des bêtes. Ce contrat
de servage pastoral, supposant qu’un
commanditaire, le shebuja,
remette son cheptel à un vassal, l’umugaragu,
lui fournissant en échange des produits
vivriers, fut supprimé en 1953 par
le roi Mutara. La possession d’une
ou de plusieurs vaches conférait un
prestige social certain, créant des
clivages de “classe”, la majorité
des Hutus du Rwanda ancien ayant,
en pratique, rarement accès à ce statut.
L’africaniste Bernard Lugan
précise dans son livre Histoire
du Rwanda (Bartillat, Paris, 1997)
:
“(...) L’accession au groupe tutsi
n’était pas automatique dès lors qu’un
Hutu possédait un troupeau. La possession
de vaches n’était en effet pas l’échelle
qui permettait aux Hutus de se « hisser
» à la « tutsité ». D’ailleurs, l’essentiel
du bétail des Hutu était imbata,
ce qui veut dire qu’il était leur
propriété absolue. Obtenu par le commerce
ou par toute autre activité étrangère
à l’ubuhake, ce bétail n’était
pas le sauf-conduit favorisant l’entrée
dans l’univers tutsi.
(...) Possesseurs de bétail imbata,
les Hutus pouvaient néanmoins avoir
des contrats d’ubuhake avec
des chefs tutsi (...).”
Le royaume était divisé en blocs de
pâturages destinés au bétail.
Le chanoine de Lacger, père
missionnaire, estimait le cheptel
rwandais en 1936 à un million de têtes.
Tout l’univers du Rwanda ancien était
imprégné de la vache : les plus riches
s’habillaient de sa peau tannée qui
couvrait également les tambours et
servait de linceuls royaux, les cordes
des arcs étaient fabriquées avec les
tendons de l’animal, les bois des
harpes avec ses cornes, la bouse servait
de combustible et l’urine de nettoyant
pour les pots. Des tabous alimentaires
interdisaient de manger ce prestigieux
bovin dont, en revanche, on ingurgitait
tous les produits dérivés : lait frais,
lait caillé (kiwuguto), beurre
rance, parfois utilisé aussi comme
onguent pour adoucir la peau.
Il existait des “armées bovines”,
chacune dotée d’un nom : “les Blanches
Nuées”, “les Ennemies de la Défaite”,
“Les Cornes lyrées”. La plus prestigieuse
d’entre toutes, celle du souverain,
spécialement sélectionnée, était exclusivement
composée de vaches “Nyambo”
à l’allure élancée obtenue grâce à
de savants croisements. Des poèmes
pastoraux, déclamés auprès du mwami
et de son conseil, chantaient leurs
louanges, relatant les aventures des
troupeaux militaires lors des razzias
en territoires étrangers : les Amazina
y’inka.
Les bergers tentaient d’espacer les
saillies afin d’éviter de déformer
les flancs des vaches du mwami. Des
enclos spéciaux leur étaient réservés
et elles suivaient la cour dans ses
déplacements. Les gardiens du troupeau
royal, affiliés à la société secrète
Ryangombé, bénéficiaient
d’une haute considération. Ils devaient
respecter toute une série de règles
matérielles et morales : se laver
les mains avant et après la traite,
ne pas commettre l’adultère, etc.
Ces pasteurs royaux rangeaient pots
et jarres de lait selon une classification
très complexe. Chaque soir, un préposé
était chargé de la gestion de toutes
les jarres provenant de la traite
des troupeaux royaux. Sacré, le lait
des vaches royales était utilisé lors
de différentes opérations divinatoires
: par exemple, on en donnait à boire,
mélangé à de la salive du monarque,
aux taurillons destinés au sacrifice.
Une cérémonie funéraire aux fastes
adaptés à leur rang mettait fin à
la vie des bovins royaux, ensevelis
dans des lieux à part. La disparition
des prestations coutumières comme
la fourniture quotidienne de jarres
de lait à la cour ainsi que le don
de vaches, constitua l’un des principaux
griefs dont se plaignit, en 1929,
le mwami Musinga au gouverneur
belge Lenaerts.
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Il
existe deux types de Watusi
:
-Insanga (petites cornes) dit
"celles trouvée là"
-Inyambo(grandes cornes) dit royale
car venue du ciel avec le roi. |
Alexandre Arnoux, un Père Blanc,
témoigne de l’amour des Rwandais pour
leurs troupeaux dans Les Pères
Blancs aux sources du Nil (Librairie
missionnaire, Paris, 1953) :
“(...) Un Résident du Ruanda offrit
jadis au roi indigène un sceau qui
lui servirait à authentiquer (sic)
ses quelques lettres officielles.
Ce cachet « écrivait » le nom du potentat
: « Musinga mwami w’iRuanda : Musinga,
roi du Ruanda. » Et, détail qui communiquait
une valeur accrue à ce charmant objet,
ces caractères couraient autour d’une
tête de vache aux cornes démesurées.
« Tu as l’esprit vif, ponctua solennellement,
en guise de remerciements, le monarque
au donateur. Toi, au moins, tu comprends
les choses de chez nous ! Tu l’as
prouvé en faisant graver l’image de
ce qui nous est le plus cher : inka,
la vache.
(...) Les vaches jouent le rôle réglementaire
en ce sens qu’elles fournissent les
indications pour distinguer les fractions
du temps « A quelle heure viendrons-nous
au catéchisme ? Quand aura lieu la
cérémonie ? » interrogent les chrétiens
et catéchumènes. Gardez-vous de leur
répondre : à 9 h., à 11h., à 15 h.,
on ne vous comprendrait pas. Dites
simplement : lorsque les troupeaux
seront sortis pour paître, lorsqu’ils
auront gagné l’abreuvoir, lorsqu’on
aura ramené les jeunes veaux pour
les soustraire au soleil trop cuisant
ou après la traite des vaches.
(...) Rien de ce qui vient de la vache
n’est mésestimé ou négligé, pas même
les sous-produits. Nous aurons toutes
les peines du monde à trouver des
ouvriers pour nettoyer l’écurie des
ânes; par contre, les filles de princes
ne dédaigneront pas de remplir directement,
de leurs doigts effilés, un office
analogue dans le kraal des bovins.
(...) N’avoir plus de vaches, en avoir
été dépossédé, voilà la suprême épreuve.
Aussi, certains propriétaires se sont-ils
donné la mort à la suite de perte
de bétail.(...)”
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Mwami,
le titre du roi du Rwanda |
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Incarnation
humaine du pouvoir, le roi, dans
l’histoire ancienne du Rwanda, formait
la clef de voûte de la nation, point
de départ d’une société hiérarchisée,
très structurée, que certains historiens
n’hésitèrent pas à qualifier de “féodale”
(mais méfions-nous de l’ethnocentrisme,
en faisant, par exemple, des rapprochements
simplistes avec la féodalité médiévale
européenne).
Père du peuple, le mwami
jouait un rôle de sauveur de la
nation, particulièrement lors
des crises : guerres, rivalités politiques
ou conflits internes. Il était fréquent
que le roi se sacrifie en allant au-devant
du danger; lors de batailles par exemple,
mais aussi en se suicidant ou en se
laissant “assassiner” et remplacer par
un autre si les Abirus, les ritualistes
de la Cour, décidaient que c’était nécessaire
à la sauvegarde du royaume. Il semble
que les Abirus aient aussi eu le pouvoir
de décision d’empoisonner un roi devenu
sénile mais seulement après que celui-ci
leur ai révélé le nom de son successeur.
Ceci laissait aussi toute liberté aux
Abirus de prétendre que leur propre
choix était celui de feu le roi.
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Le roi, comme les grands seigneurs
de la cour, était ainsi porté
dans ces sortes de palanquin tressés
par leurs gardes et vassaux, lors
des cérémonies. |
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Dans l’entourage du mwami,
évoluaient un ou plusieurs favoris,
conseillers privilégiés. Dans tous leurs
récits missionnaires les pères Blancs
s’indignaient à mots couverts des “mœurs
dépravées” de la cour de Nyanza.
Outre la pratique d’une grande liberté
sexuelle entre hommes et femmes et parfois
au sein d’une même famille (peut-être
à l’image de Kigwa, le fondateur de
la dynastie qui eut des relations charnelles
avec sa sœur ?), les religieux réprouvaient
l’homosexualité qui semblait assez répandue
dans l’entourage royal. Lors de la campagne
de presse lancée en novembre 1931 par
monseigneur Classe pour destituer Musinga,
un des derniers mwamis, le prélat “dénonça”
la pédérastie du roi et “sa vie familiale
indécente”. Sa charge de détenteur de
l’autorité suprême donnait au monarque
le droit de vie et de mort sur tous
ses sujets. Les colonisateurs belges
lui retirèrent ce pouvoir, amoindrissant
ainsi le prestige du souverain aux yeux
des populations. Au sein de cette “civilisation
de la vache” où tout le symbolisme reposait
sur la propriété du bétail, il parut
étrange aux Rwandais que le vol de bovin
ne fut plus considéré comme une faute
grave, entraînant la mise à mort publique
par empalement.
Le pouvoir royal était symbolisé par
le kalinga,
tambour de la monarchie.
Paul Del Perugia, dans Les
derniers rois mages; chez les Tutsis
du Ruanda, chronique d’un royaume oublié
(Phébus, Paris, 1978),
explique que le mwami était propriétaire
de tous les bovins du pays “parce qu’il
abritait un aspect de la vitalité divine
passant dans le bétail”. Il rappelle
également qu’il était interdit regarder
le souverain manger... sous peine de
mort. Cette pratique tenait de la “propagande
royale” laissant croire qu’au-dessus
des simples mortels, le roi n’avait
pas besoin de se nourrir. La journée
du souverain était consacrée à des audiences
octroyées à ses conseillers, à recevoir
des hommages et des offrandes, à “bénir”
les troupeaux des armées bovines richement
ornées, à assister à des sacrifices
de taureaux. Del Perugia présente le
souverain comme un élément unificateur
du peuple, se penchant “sur les soucis
pastoraux des grands vachers hamites
comme sur les problèmes agraires des
Bantous”. Une jeune fille tutsie et
une jeune fille hutue serait venues
le saluer chaque matin, symbolisant
l’alliance des deux principales ethnies
protégées par le roi. Cette vision idyllique
qui rapproche la société monarchique
tutsie d’un Eden perdu doit être nuancée
: tous les observateurs de la Cour décrivirent
un climat composé d’intrigues, de complots,
de rumeurs, de putschs politiques et
d’assassinats... comme dans toutes les
civilisations !
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Le mwami (ici Musinga) dans sa
hutte royale de Nyanza, entouré
de ses proches conseillers, les
Abirus. |
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L’anthropologue Luc de
Heusch, dans son ouvrage Rois
nés d’un cœur de vache (Gallimard,
1982), conte la naissance de Kigwa,
l’ancêtre primordial de la dynastie,
lui-même émanation d’Imana, puissance
suprême. Kigwa serait venu au monde
dans un cœur de vache qu’une femme stérile,
Gasani, aurait placé dans un
pot et arrosé de lait pendant neuf mois.
Arrivé sur terre d’une manière magique,
extraordinaire, et sans cordon ombilical,
Kigwa pouvait prétendre être “tombé
du ciel”, nom qui sera systématiquement
attribué, par la suite, aux rois et
par extension, aux aristocrates et aux
Tutsis : les Ibimanukas. Cette
légende justifie l’importance accordée
aux cordons ombilicaux des souverains
rwandais, tous conservés par les Abirus.
Selon la tradition, ceux-ci les enfouissaient
dans des champs au moment de choisir
un héritier royal : l’emportait celui
dont le cordon ombilical avait le mieux
ensemencé le terrain. Gihanga,
le dieu-roi fondateur de la dynastie,
sorte d’intermédiaire entre Kigwa et
les premiers rois “humains”, serait,
selon les mythes traditionnels, descendu
du ciel sur terre dans la région de
Mubari près du futur
parc de la Kagera. Là,
Gihanga aurait déterminé les rites de
la monarchie rwandaise fondés sur la
vache, emblème de prospérité, et le
tambour, symbole de pouvoir, et instauré
les traditions royales (ubwiru).
La souveraineté aurait ensuite été transmise
par Gihanga à ses fils : c’est à l’aîné,
Kanyarwanda, qu’échut le Rwanda.
D’après le Récit des origines
détaillé par l’abbé et historien rwandais
Alexis Kagame, les premiers monarques
auraient tous été des Tutsis appartenant
aux clans des Zingabas et des
Singas puis des Nyiginyas
et des Begas. Souverains conquérants,
ils favorisèrent l’expansion du royaume.
Certains mwamis marquèrent particulièrement
l’histoire, comme Ruganzu I Bwimba
(mort en 1345, toujours d’après Kagame),
premier de la dynastie nyiginya à manifester
une véritable volonté d’accroissement
du territoire et de fédération. Il n’hésita
pas à sacrifier sa personne lors de
combats contre le Gisaka, province dont
le roi menaçait le Rwanda sur lequel
il prétendait avoir des droits en tant
qu’époux de la sœur de Ruganzu. Cyirima
I Rugwe (mort en 1378), fils de
Ruganzu, fut un roi entreprenant qui
s’appropria la colline de Kigali
dont il fit sa capitale qu’il perdit
par la suite. Il recentra le système
de gouvernement en supprimant les confédérations
territoriales. Si l’on se reporte aux
propos de Jan Vansina
dans son étude L’évolution du royaume
rwanda des origines à 1900 (1962,
éditions Duculot, Belgique), Yuhi
II Gahima (mort en 1477) aurait
été le premier à pénétrer des territoires
peuplés majoritairement de Hutus, au
pied des volcans et jusqu’au lac Kivu.
Mutara I Semugeshi (mort en 1576),
souverain réformiste, fort de l’expérience
qui l’avait opposé à un abiru hostile
à son accession au trône, fit passer
de un à trois le nombre des Abirus chargés
de la succession royale. Le souverain
pensa probablement rééquilibrer, par
ce système, les chances d’un “candidat
royal”. Ce même Semugeshi instaura la
tradition qui consiste à reprendre dans
le même ordre, au fil des successions
royales et en organisant des cérémonies
particulières à chacun, cinq noms dynastiques
: Mutara, Kigeri, Mibambwe, Yuhi
et Cyilima. Ainsi, après Semugeshi,
tous les mwamis furent-ils baptisés
selon ce rituel, en respectant une chronologie
devenue immuable. Cilima II Rujugira
(mort en 1708), grand roi guerrier,
battit les Burundais dont il prit les
territoires du Buyunzi
ainsi que le Bugesera,
le Ndorwa et une grande
partie du Gisaka. Cette
région ne fut toutefois entièrement
conquise que sous le règne de Mutara
II Rwogera (1853), et ce après la
mort de son dernier souverain. Avec
Kigeli IV Rwabugiri (1853-1895),
s’est clôt la période de l’histoire
du Rwanda hors présence européenne.
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Kigeri
IV Rwabugiri (1853-1895),
le premier mwami à avoir rencontré
les Blancs |
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Ce grand monarque, le dernier à connaître
une totale indépendance, consolida le
pouvoir royal à l’intérieur du pays
et élargit le territoire par l’annexion
du Nkore, au nord des volcans
(en actuel Ouganda) et de l’île Ijwi
sur le lac Kivu.
Il sut remarquablement bien
protéger le royaume des marchands d’esclaves
arabes, qui à l’époque, s’infiltraient
plus profondément à l’intérieur du continent
africain en transitant par Zanzibar.
C’est également pendant le règne de
Rwabugiri que le conte Gustav Adolf
von Götzen, à la tête d’une caravane
de six cents hommes, pénétra dans le
royaume afin d’explorer cette partie
du territoire accordé aux Allemands
lors du traité de Berlin de 1885. Le
29 mai 1894, l’officier fut reçu, par
le mwami en personne, à la cour, située
à ce moment là à Kageyo,
près de l’actuelle Gisenyi. Ferdinand
Nahimana*,
retranscrit dans son ouvrage Le Blanc
est arrivé, le roi est parti (Printer
Set, Kigali, 1987) une conférence donnée
par Alexis Kagame dans laquelle l’abbé
relate cette première entrevue rwando-européenne
: les Allemands organisèrent des parades
militaires avec salves et tirèrent un
feu d’artifice tandis que Rwabugiri
leur fit cadeau de bétail. A la mort
de Rwabugiri, les Abirus choisirent
son fils, Mibambwe I Rutalindwa,
pour lui succéder.
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Portrait
présumé de Rwabugiri. |
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Les
Tutsis en général, mais plus particulièrement
ceux des familles royales, se
distinguaient par leur très haute
stature (2, 05 m pour, les deux
derniers monarques), ce qui impressionna
fort les Européens. Les photos
des débuts de la colonisation
en témoignent de façon comique
: Allemands et Belges paraissent
des nains à la silhouette tassée
par leurs casques coloniaux aux
côtés des immenses Rwandais de
la cour de Nyanza. Jean-Paul Harroy
affirme que les Tutsis de la famille
royale utilisaient différents
procédés sur leurs enfants (massages
allongeants, purges fréquentes,
nourriture essentiellement liquide
et lactée, toujours prise debout)
afin de leur donner cette taille
et cette minceur élégante bien
que toujours un peu voûtée. |
Il précise aussi que les mwamis du Burundi
ne présentaient pas la même apparence
et qu’au fil du temps, il remarqua de
moins en moins de Tutsis gigantesques,
laissant penser que ces pratiques se
seraient peu à peu éteintes.
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*
Cet historien rwandais, diplomé
de l’université de Paris VII,
auteur de plusieurs livres sur
le Rwanda, fut directeur de l’Office
Rwandais d’Information et s’est
compromis avec le gouvernement
génocidaire de Juvénal Habyarimana.
Il fut en effet le fondateur et
le directeur de la Radio des Mille
Collines qui, en 1994, incita
les populations hutues à tuer
tous les Tutsis. Arrêté au Cameroun
en mars 1996, il a été transféré
à Arusha en Tanzanie où il est
incarcéré et sera jugé pour “entente
en vue de commettre un génocide,
complicité de génocide, crime
contre l’humanité et incitation
directe et publique à commettre
le génocide”. Nous ne pouvons
passer sous silence ses publications,
souvent pionnières à une époque
où peu de travaux avaient été
réalisés sur le sujet mais tenons
à rappeler la partialité de Nahimana,
notamment sur des thèmes contemporains
et son engagement politique criminel.
|
A la mort de
Rwabugiri, les Abirus choisirent son
fils, Mibambwe I Rutalindwa, pour
lui succéder.
Le prince étant orphelin de mère, on
désigna une épouse du roi défunt, Kanjogera,
du clan des Begas, pour l’accompagner
comme reine-mère. Cette femme, soutenue
par ses deux frères, intrigua pour placer
sur le trône un de ses fils, Musinga,
qu’elle avait eu de Rwabugiri. Elle
parvint à ses fins en 1896, par le coup
d’Etat de Rucunshu : le roi brûla
dans sa hutte avec son kalinga
(tambour
dynastique) et fut remplacé par
Yuhi V Musinga (1896-1944).
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Musinga jeune homme, avec
son bâton de berger, symbole
de la possession des vaches
de tout le royaume. |
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A
Musinga, incomba la difficile
tâche de faire face aux premiers
colonisateurs. Les Allemands s’étaient
installés dès 1898 à Ishangi,
sur le Kivu. Lorsqu’il s’agit
de reconnaître leur souveraineté,
le mwami, d’abord méfiant et peut-être
pour manifester son peu d’estime
pour ces intervenants étrangers,
envoya à sa place un comparse
à la rencontre de la délégation
germanique. Celle-ci prit le figurant
pour le vrai roi. En 1908, le
premier Résident, Richard Kandt,
s’établit à Kigali. Le docteur
Kandt fut à l’origine de la fixation
de la Cour, jusque là itinérante,
à Nyanza. Cette
ville devint la capitale royale.
Les échanges entre les colons
et le mwami débutèrent favorablement
grâce au principe d’administration
indirecte appliqué par les nouveaux
maîtres du territoire : le souverain
conservait une relative liberté
de contrôle de son pays. Le rôle
de médiateur joué par les Allemands
entre la Cour et les Pères Blancs
(ils s’opposaient en de nombreux
domaines et Richard Kandt prenait
souvent la défense des Rwandais)
allait dans ce sens. |
C’est
pourquoi Musinga resta très déçu
lorsque, après la défaite de l’empire
germanique lors du premier conflit
mondial, le Rwanda fut attribué
à la Belgique en 1919, sous forme
de mandat. Les nouveaux arrivants
rognèrent peu à peu sur les pouvoirs
royaux, provoquant une dégradation
de leurs rapports avec le monarque
au point que les Belges s’arrangèrent
pour le destituer en 1931. Résigné
et sans moyen de réagir, Musinga
se retira avec ses derniers fidèles
près de Bukavu. Il finit ses jours
au Congo, pendant la seconde guerre
mondiale, espérant cette fois
la victoire des Allemands, promesse
pour lui, croyait-t-il, d’un retour
au pouvoir. |
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Yuhi V Musinga
(1896-1944), |
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Mutara
III Rudahigwa (1931-1959), le
mwami muselé |
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En 1931, les autorités belges sustituent
ce jeune homme à son père Musinga, destitué
pour avoir refusé de se convertir et
pour son esprit d’indépendance. Le nouveau
mwami règnera sous le nom de Mutara
III Rudahigwa (1931-1959).
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Baptême de Rudahigwa, le 17 octobre
1943. Il a pour parrain Pierre
Ryckmans, le gouverneur général
du Rwanda. |
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Monogame, catholique pratiquant, ce
souverain “bien sous tous rapports”
selon les critères des Belges, plaça
son royaume “sous la protection du Christ-roi”en
1946, supprima l’ubuhake
(contrat de vasselage traditionnel)
en 1953 et semblait échaffauder de vastes
plans de modernisation pour son royaume
tout en restant attaché aux valeurs
anciennes de la civilisation de la vache.
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Rudahigwa et sa seconde épouse,
une chrétienne cette fois, Rosalie
Gicanda. |
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Il fut reçu à plusieurs reprises par
le roi Baudoin à Bruxelles puis
l’accueillit à son tour à Nyanza en
juin 1955. Lorsqu’après 1957, l’Eglise
et les Belges effectuèrent une volte-face
au détriment des élites tutsies sur
lesquelles elles s’appuyaient jusque
là, il se produisit le même phénomène
pour Mutara que pour son père : il commença
à s’opposer à ses colonisateurs.
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La mère et la veuve de Rudahigwa
pendant la cérémonie de funérailles
du mwami, en 1959. |
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Le mwami mourut subitement, le 25 juillet
1959, dans de mystérieuses conditions,
après une piqûre de pénicilline qui
lui fut administrée à l’hôpital “Prince
Régent” de Bujumbura. En dépit de la
demande de certains membres du Conseil
Supérieur du Rwanda, aucune autopsie
ne fut jamais réalisée.
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Kigeri
V Nadhindurwa, le dernier mwami |
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Jean-Paul Harroy, Résident général
du Ruanda-Urundi pour la Belgique de
1955 à 1961, détaille dans son livre
de souvenirs, Rwanda, de la féodalité
à la démocratie (Hayez/Bruxelles,
Académie des Sciences d’Outre-Mer/Paris,
1984), la manière dont les Belges cherchèrent
à pousser sur le trône un candidat de
leur choix. Il fallait qu’il soit suffisament
docile pour les laisser préparer la
“révolution assistée” hostile aux Tutsis.
Les Belges furent toutefois “doublés”
par les Abirus qui opérèrent “le coup
de force de Mwima” acclamant, lors des
obsèques royales, Jean-Baptiste Ndahindurwa,
un des fils de Musinga (Mutara n’ayant
eu aucune descendance). L’ancien Résident
ne cache pas sa volonté de mainmise
sur le nouveau mwami, baptisé Kigeri
V Nadhindurwa. Il le décrit comme
“une personnalité sympathique mais peu
brillante et influençable” et raconte
avoir exigé du nouveau souverain l’acceptation
de régner constitutionnellement sans
gouverner. Les Belges organisaient en
fait la chute de la monarchie et ce
qu’ils appelèrent “la révolution rwandaise”
afin de placer au pouvoir les Hutus
formés dans les séminaires. Une fois
encore, les rapports entre la Cour et
les colonisateurs se tendirent. Le monarque,
appuyé en cela par l’UNAR (Union Nationale
Rwandaise), parti royaliste récemment
créé, pressentant ce qui se tramait,
se fit moins docile. Il défendit par
exemple trois chefs unaristes mutins
qui réclamaient l’indépendance et fit
en vain appel, en novembre 1959, au
roi Baudoin de Belgique, lui demandant
par télégramme l’autorisation de rétablir
lui-même l’ordre face à l’agitation
politique intérieure menée par l’APROSOMA
et le PARMEHUTU, les partis hutus soutenus
par les Belges.
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Accueil sur le tarmac du
roi des Belges, Baudouin,
par Kigeri, le 18 décembre
1959. |
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En
juillet 1960, Kigeri se montra
hostile à la création d’un Conseil
Supérieur du pays composé en majorité
de Hutus opposants; il refusa
de ratifier leurs décisions. En
août de la même année, un détail
significatif soulignait la perte
du prestige monarchique voulue
par les Belges : sur les nouvelles
impressions des billets de banque
du Ruanda-Urundi, des animaux
sauvages remplaçaient le portrait
du mwami. Le roi se sentit cerné
: plusieurs de ses proches furent
placés en résidence surveillée
et des Hutus disaient vouloir
marcher sur Nyanza pour “célébrer
leur libération de la traditionnelle
domination tutsie”. Kigeri s’envola
pour Kinshasa, au
Congo, dans un avion soviétique
prêté par Patrice Lumumba.
|
En janvier 1961, les élections marquaient
la victoire écrasante du PARMEHUTU et
de l’APROSOMA. En septembre, un référendum
fut organisé pour interroger la population
au sujet du système monarchique. Kigeri,
interdit de territoire, tenta de revenir
clandestinement sur le sol rwandais
mais il fut rattrapé par les Belges
et ramené à Bujumbura. Le référendum
donna 80 % de “nons” hostiles au trône.
Le 1er octobre 1961, Jean-Paul Harroy
signait l’abolition de la monarchie
rwandaise et Kigeri partait pour un
long exil. Il réside aujourd’hui aux
Etats-Unis.
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Kigeri au début de son court règne,
accompagné de Jean-Paul Harroy,
vice-gouverneur général du Rwanda-Burundi
et Marcel Pochet, conseiller belge
du roi. |
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Suit ici le court texte d’un journaliste
français, François d’Harcourt qui
entreprit, en en 1959, un périple de
35 000 km à travers le continent africain.
Il en tira un récit préfacé par Joseph
Kessel, L’Afrique à l’heure H.,
(Gallimard, 1960). D’Harcourt eut
l’occasion de croiser le mwami (Mais
duquel sagit-il ? L’auteur parle du
mwami du Burundi et précise plus loin
que le souverain rentre à Kigali. Il
mentionne sa capitale située “en pleine
montagne” [Nyanza ?] alors que le monarque
du Burundi résidait à Bujumbura. Il
évoque “la femme et les enfants du roi”
alors que l’on sait que Mutara, au pouvoir
à cette époque, resta stérile...). Cette
vision par un Européen des années 50
d’un “roi nègre” dont on souligne la
“sauvagerie” sous l’aspect occidentalisé,
bien que caricaturale et archétypiquement
colonialiste, m’a paru intéressante
du fait de la rareté des témoignages
sur les monarques des Grands Lacs à
cette époque.
“(...) Aujourd’hui, Usumbura, la
capitale administrative, est en fête.
L’avion de Bruxelles, qui doit ramener
le Mwami de l’Urundi, va se poser d’un
moment à l’autre sur le petit aérodrome
de la ville. Les tambours de l’Urundi,
célèbres dans toute l’Afrique, sont
alignés près de la piste. Les hommes
tout habillés de rouge attendent imperturbablement.
Le tambour est ici symbole de l’autorité.
Lorsque le souverain quitte le pays,
les tambours se taisent pendant toute
son absence. Dès qu’il est de retour,
ils recommencent à battre. C’était le
cas aujourd’hui. L’avion arrive en vombrissant
et s’arrête. Le Mwami apparaît en complet
occidental avec chapeau melon. En le
voyant si paisible et si civilisé, je
ne peux m’empêcher de penser à son sanguinaire
grand-père qui faisait empaler les gens.
Sa femme et ses enfants sont là pour
l’accueillir. Des centaines de danseurs
sont venus de l’Urundi. Avec des attitudes
langoureuses et frémissantes, ils expriment
successivement la guerre, la chasse,
l’amour. Mais l’ennui se peint sur le
visage du souverain. Il monte alors
dans sa Cadillac. Un chauffeur, en livrée
blanc et or, lui ouvre la portière et
s’agenouille devant lui. Le cortège
démarre vers Kigali. Quelques heures
plus tard, il aura rejoint sa capitale,
située en pleine montagne. Le Mwami
possède là un palais moderne où il reçoit
les Européens et les invités. Mais le
soir venu, il préfère regagner la hutte
où il a coutume de dormir. Parfois,
il descend de sa montagne pour venir
au “Cocotier”, dancing d’Usumbura et
là, il monte à l’orchestre et tel un
batteur noir d’une formation américaine,
il rythme vigoureusement “rock and rolls”
et “boogies”. Très séduisant, on le
dit sensible aux charmes féminins, surtout
à ceux des Européennes. Son cadeau le
plus courant : une peau de léopard.
Sa vengeance en cas de refus : la mort.
Deux femmes coupables à ses yeux furent
terrassées par un mal invisible et mystérieux
– effet d’un poison peut-être – qui
les emporta dans l’autre monde.”
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